Entretien avec Gilbert Simondon, professeur à la Sorbonne 2/5
Transcription de l'extrait
Yves deforge Monsieur le professeur, vous avez écrit un livre qui s'intitule : « Du mode d'existence des objets techniques» et dans ce livre vous parlez de la technologie. Pouvez-vous nous dire si votre définition de la technologie correspond à celle des ethnologues ou bien à celle des techniciens ? Gilbert Simondon A proprement parler, l'ouvrage ne cherchait pas à donner une définition de la technologie, il voulait présenter une catégorie de réalité, celle de l'objet technique mais il est certiaine que les définitions qui ont été présentées par les différents spécialistes que vous avez nommés sont très bonnes. Simplement on pourrait sans doute ajouter une dimension nouvelle. On pourrait présenter la technologie comme comportant aussi un aspect normatif, un aspect d'intégration à la culture, un aspect, en somme assez voisin de celui de l'esthétique et peut-être même de la morale. Yves Defforge Vous avez, dans ce liv.re, également lancé une expression qui, depuis, a pris une grande extension : c'est celle d'objet technique. Pourriez-vous nous donner le sens de cette expression et ses limites surtout ? Gilbert Simondon Au point de départ, j'ai été sensible à une espèce d'injustice dont notre civilisation s'est rendue coupable envers les réalités techniques. On parl d'objets esthétiques, on parle d'objets sacrés, mais n'y a-t-il pas des objets techniques ? J'ai voulu employer la même expression parce qu'if m'a semblé que cette symétrie pourrait attirer l'attention sur une lacune. Si on laisse de côté cet aspect initial qui est plutôt une motivation qu'une raison, je crois qu'on pourrait dire qu'objet technique doit s'entendre en deux sens : est objet ce qui est relativement détachable, comme ce microphone, comme une pièce qu'on peut vraiment emporter avec soi, ce qui suppose qu'elle soit de dimensions manipulables et correspondant aux forces du corps humain. D'autre part, est objet aussi ce qui, dans l'histoire, peut être perdu, abandonné, retrouvé, en somme ce qui a une certaine autonomie, une destinée individuelle. Quand l'industrie produit des objets, qu'elle les lance sur le marché, après elle se désintéresse d'eux et ils ont leur existence toute personnelle. En somme, ce sont comme des organismes bien qu'ils ne soient pas vivants. Voilà pourquoi on peut parler d'objets.