Entretien avec Gilbert Simondon, professeur à la Sorbonne 5/5
Transcription de l'extrait
Yves Defforge Pouvez-vous nous dire ce que l'objet technique ouvert peut apporter à des enfants pour la connaissance de ces objets ? Gilbert Simondon D'abord, il peut leur apporter le respect du travail d'autrui, en ce sens que l'un objet ouvert. manifeste la condensation du geste du producteur. .Il peut leur apporter aussi une connaissance des époques révolues et une connaissance comme au présent car on peut trouver dans une machine, dans un outil la trace de l'invention et cela permet de lutter contre un préjugé qui vient d'une certaine tournure de notre civilisation, qui est peut-être lié d'ailleurs à l'acceptation du gaspillage, un préjugé qui tend à faire considérer nos ancêtres comme moins intelligents que nous, moins créateurs ce qui n'est pas vrai, en tout cas, dans tous les domaines. Voilà pourquoi un objet ouvert est d'abord un objet qui se présente comme pleinement réel, qui ne se dissimule pas. D'autre part, cet objet est vrai. Il est vrai en ce sens qu'il refuse les surcharges du luxe, de la parure, qui sont inessentiels par rapport à lui. Il se découpe dans ses lignes pures, il présente son style comme étant très près de ce que les philosophes appelleraient l'être et il refuse le paraître. C'est donc une leçon de réalité, une leçon de véracité, mais d'autre part une leçon de respect intelligent du passé. (Je dis intelligent car le respect qui ne serait pas intelligent, c'est le respect qui verrait dans le passé quelque chose de globalement sacré, de globalement admirable même dans ce qui ne l'est pas.) Alors, sans doute l'objet, par son ouverture, permet, si l'on peut dire, de jeter un regard d'inspection dans l'activité de ceux qui nous ont précédés. C'est tout au moins une dimension culturelle qu'on pourrait introduire dans la technologie. Interviewer . Voyez-vous d'autres finalités dans l'étude de l'objet technique en classes de 4'ème et de 3ème ? Gilbert Simondon J'en vois d'autres, naturellement, qui seraient strictement pédagogiques. Bien d'autres avant moi les ont présentées : développement de l'intelligence, formation du sens de l'effort, capacité de travailler par soi-même, de contrôler le résultat de son travail par le succès direct qu'il obtient. Et il en est une sur laquelle on n'a pas beaucoup insisté. Peut-être pourrait-on, malgré tout, y songer. Quand on connaît une réalité dans ses lignes essentielles et internes, je crois qu'on acquiert par rapport à elle une espèce de familiarité, mais une familiarité qui fait qu'on a presque un lien d'amitié avec cette concrétisation du travail, avec cette réalité qui n'est pas un organisme, mais qui est presque un équivalent d'organisme. Dans ces conditions, l'objet réellement connu, authentiquement pensé, ne peut plus être l'occasion d'une espèce de violence, de dérèglement. Il me semble que pénétrer réellement la signification d'un objet technique, cela exclut qu'on puisse en faire un instrument de débauche, de vitesse ou de violence à l'égard d'autrui ou de prestige social. Ce sont les différentes, libidines, excellendi qui, en somme, ont été présentées par les moralistes comme pouvant provenir de la possession des richesses. Il ne faut pas que l'objet technique devienne une richesse en quelque mesure, mais qu'il reste un instrument et presque un ami dans notre rapport au monde.
Pouvez-vous nous dire ce que l'objet technique ouvert peut apporter à des enfants pour la connaissance de ces objets ?